Tous les jours de la semaine, de nombreux téléspectateurs tentent de trouver réponse à leurs questions existentielles en invoquant l’émission « Allo Tarot » diffusée sur RTL TVI. Ingrid Lapraille, l’animatrice et tarologue professionnelle, se présente comme un miroir à leur disposition, prête à les aider par l’entremise du tarot de Marseille. Energique et volubile, Ingrid, qui est aussi adepte de l’hippothérapie et chanteuse, nous a reçus chez elle pour nous parler de ce système symbolique, de l’univers médiatique dans laquelle elle officie, d’argent et autres buzzes associés à sa pratique.
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Qu’est-ce que le tarot de Marseille ?
C’est un outil sacré qui permet à deux être humains de se mettre dans une relation authentique. C’est le système symbolique le plus complet au monde. Lors de mon mémoire portant sur le symbolisme au Moyen-âge, je suis tombé sur des travaux de plusieurs sémioticiens qui m’ont interpellée. Je croyais que le tarot n’était qu’un outil de divination – la majorité du grand-public le voit d’ailleurs de cette manière – et j’ai réalisé que je ne connaissais que la partie visible de l’Iceberg. J’ai donc commencé à explorer cet outil et je me suis rendue compte que le tarot était une encyclopédie universelle sans les mots.
Une encyclopédie universelle, c’est-à-dire ?
Si on prend les fondements de tous les grands systèmes de connaissances, qu’ils soient religieux ou laïcs, moraux ou philosophiques, on se rend compte qu’ils sont tous codés et contenus dans le tarot. Par exemple, il y a le symbole du bâton que vous retrouvez autant chez les francs-maçons que chez les bouddhistes. Grâce au tarot, je me suis rendue compte que toutes les religions et tous les philosophes disaient la même chose mais avec des mots différents. Tout cela est contenu symboliquement dans ce système.
Et il n’y a jamais de contradiction ?
Jamais ! C’est hallucinant et c’est pour cela que je le considère comme un outil sacré. Je ne peux pas expliquer pourquoi il est comme ça. Tout ce que je peux dire, c’est que ma démarche est empirique. 100% des tirages auxquels j’ai procédé correspondent à la vie de la personne dont je tirais les cartes. Quel que soit le système de pensée par lequel j’entre, ça correspond à chaque fois.
« Le monde n’est que symbole ; c’est un tarot géant. On est dans un labyrinthe, un jeu de piste mais il y a des indices pour nous aider qu’on ne voit pas ou qu’on choisit de ne pas voir. »
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Le tarot, c’est une sorte d’espéranto ?
Oui, sans les mots. Le mot va toujours figer la réalité et c’est ce qui me dérange encore dans le tarot : je dois trop parler. Le gros problème est de communiquer correctement. Avec le tarot, si tu dis ce que tu vois, les symboles sur les cartes, c’est impossible de te planter. Tu n’interprètes rien. C’est ça être « un voyant ». Dans cette pièce, nous avons tous deux yeux ; nous sommes donc des voyants qui savons décrire ce que l’on voit. Cela me fait sourire quand on me demande : « tu y crois ? » Il n’y a rien à croire ; il faut juste accepter qu’il y a quelque chose d’intéressant à voir. Le monde n’est que symbole ; c’est un tarot géant. On est dans un labyrinthe, un jeu de piste mais il y a des indices pour nous aider qu’on ne voit pas ou qu’on choisit de ne pas voir.
Concrètement, comment ça se passe ?
Je décris ce qui se trouve sur les cartes. Cela nous donne un message très précis et ce qui se trouve sur deux cartes qui sont liées nous donne un message encore plus précis. Deux personnages de tarot qui se regardent, c’est comme deux personnes qui se regardent. Qu’est-ce qu’elles se disent ces deux cartes ? Est-ce qu’elles parlent la même langue ? Le tarot ne s’exprime pas carte par carte mais dans l’ensemble des interactions qu’il propose.
Chaque symbole peut signifier quelque chose pour chaque personne ?
On peut faire le test. (Elle étale toutes les cartes devant moi)
Je trouve intéressant de disposer les cartes comme ça. Regarde-les bien et dis-moi laquelle tu préfères. Ça va me donner quelque chose sur toi et tu ne sauras même pas que tu me donnes cette information. (en voyant mon hésitation) Sinon choisis celle que tu détestes, que tu trouves moche. Il faut laisser cours à notre première impression, sinon le mental va toujours réfléchir et analyser. Le tarot nous aide à éduquer nos intuitions.
Je vais prendre celles-là.
(Je choisis deux cartes qui me dérangent : la maison-dieu et la carte de la mort)
Le squelette armé d’une faux, représente la peur depuis le Moyen-âge. Mais c’est aussi la transformation, le changement. C’est le fait que l’on naît et que l’on meurt, ce qui permet à la vie d’exister. On oppose toujours la vie et la mort, or les deux opposés sont la même porte d’entrée. Comme beaucoup d’êtres humains, tu n’aimes pas quand les choses changent trop vite. Tu aimes bien que les transitions soient bien préparées, confortables pour toi. La maison-dieu amène aussi une idée de soudaineté avec la foudre qui s’abat sur la maison. Ça peut être génial si on a tout préparé mais c’est très déstabilisant si l’on n’est pas prêt. Donc, c’est l’idée que tu aimes bien être acteur de ton changement. Tu aimes bien être prévenu. (En toute honnêteté, je dois avouer qu’elle n’a pas tort même si cela reste très général)
« Je suis le serveur : tu me commandes un coca, je t’amène un coca. Mais il ne faut pas me dire : « merci, j’avais soif ». Non, c’est toi qui est venu, qui a commandé et qui t’es abreuvé. »
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C’est de la psychologie ?
C’est de la thérapie brève. Tu places vraiment les gens face à eux-mêmes. En général, j’aime bien que les gens posent des questions précises sinon c’est tellement facile de leur faire croire que l’on a un pouvoir extraordinaire ! Je n’ai aucun pouvoir sur la vie des gens qui me sollicitent. Je ne suis qu’un miroir. Je suis le serveur : tu me commandes un coca, je t’amène un coca. Mais il ne faut pas me dire : « merci, j’avais soif ». Non, c’est toi qui est venu, qui a commandé et qui t’es abreuvé.
Vous souhaitez vous démarquer des voyants ?
Dans le cas des voyants, les gens donnent du pouvoir à l’autre : « Tu sais mieux que moi, dis-moi ce qui va arriver dans ma vie, je suis incapable de me prendre en main… » Et cet autre accepte de prendre le pouvoir. Moi je reçois plutôt les gens dans l’optique suivante : « je ne suis pas supérieure à toi, tu es un être humain et on a des choses à s’apporter mutuellement. » Tandis que celui qui a le pouvoir prend surtout le pognon de l’autre, via un abonnement de préférence. En se basant sur les relations de cause à effet, le voyant va dire deux ou trois choses évidentes et se planter sur la moitié des trucs… Moi je montre aux gens sur les cartes et les gens se rendent compte qu’ils peuvent voir par eux-mêmes. Ce qui m’intéresse c’est de faire d’eux des voyants de leur propre vie.
Cela les aiderait?
La plupart des parents vous diront : « je veux que mes enfants fassent de bonnes études ». Allo ? Mais pour quoi faire ? Etre des bons agents économiques et nourrir la société dans laquelle ils vivent ! Où est le bonheur dans tout cela ? La plupart des individus fonctionnent comme des fourmis en pensant devoir faire comme cela car ils sont tout le temps bombardés d’informations comme : « achète cette bagnole, tu seras heureux et beau » ou « si tes enfants font des belles études et travaillent, c’est que tu es une bonne mère »… Est-ce que c’est moi qui pense ou est-ce quelqu’un d’autre qui pense à ma place ? Ce sont des rôles que nous croyons devoir jouer en société et qui nous éloignent de ce pourquoi on est fait, à mon sens : vivre l’instant présent en ne faisant de mal à personne et en retirant du contentement. Beaucoup pensent qu’ils connaissent le sens de la vie parce qu’ils se disent connectés au spirituel mais ils tombent dans le même piège que ceux qui croient qu’ils doivent acheter une Rolex ou une Bentley.
N’est-ce pas contradictoire que votre émission soit diffusée sur une chaîne où il y a de tels messages via des publicités ?
Je comprends très bien. L’émission n’est pas coupée par de la publicité mais il y en a avant et après. Il ne faut pas se leurrer, la TV existe par le biais de l’argent des annonceurs. Quand on m’a proposé cette émission, je me suis demandé : « Pour quoi faire ? » J’avais déjà travaillé en télé du côté marketing stratégique des années avant. J’étais Madame « bon point et mauvais point » : j’analysais les audiences et j’étais dans un fichier excel toute la journée. Pendant deux ans, j’ai donc vu l’envers du décor de la télé et auparavant, j’avais même bossé pour un annonceur. Tout cet aspect-là me dégoutait. Mais comme j’étais sincèrement convaincue que je fais ce que je dois faire en pratiquant le tarot, je me suis dit que je pouvais parler non pas à une personne à la fois mais à des milliers. J’avais la possibilité de semer des graines. Tant que j’ai une liberté de parole, je veux bien le faire.
« Avant chaque émission, je me répète cette phrase : « je fais le vœu de rester dans l’oubli de moi, l’innocuité et la parole juste. » C’est la seule chose qui me préoccupe. »
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Vous n’aviez jamais fait de présentation avant ?
Non, mais je n’avais pas peur. Je sais que je suis dans des milliers de foyers en même temps et je suis excessivement consciente de la responsabilité de mes propos. Je me fous de quoi j’ai l’air ou de me faire virer. Avant chaque émission, je me répète cette phrase : « je fais le vœu de rester dans l’oubli de moi, l’innocuité et la parole juste. » C’est la seule chose qui me préoccupe.
C’est un credo ?
Oui ! L’oubli de moi en tant que personne car je n’ai rien à voir là-dedans. Je suis celle qui passe les plats ; j’aide la personne à formuler la question la plus efficace possible pour obtenir les réponses les plus utilisables maintenant et pas demain. Cela n’a aucun sens de se poser des questions dans six mois sauf si la notion de temps est incluse dans la question : « est-ce que mes démarches vont me permettre d’acquérir ma maison dans six mois ? »
Vous savez répondre à ce genre de question ?
C’est évident. Ce n’est pas que je prédis qu’elle va avoir la maison. Par contre, je peux dire si la personne est dans le bon ou non : « vous n’avez pas encore contacté des experts ? Vous n’avez pas encore rassemblé l’argent ? Non ? Ah, ben faites ça alors et puis on en reparlera. » Je donne la recette pour faire le bon gâteau. Après, si la personne ne m’écoute pas… C’est elle qui décide du goût de son gâteau.
Cela passe donc par un côté très pratique ?
Bien sûr. On n’est pas du tout dans la prédiction d’avenir. Mais c’est sûr que je peux dire : « si tu fous une baffe à ton voisin, tu peux t’attendre à reprendre une ! ». C’est très facile parce qu’il y a une relation de cause à effet qui régit absolument tout dans l’univers manifesté. C’est nous qui écrivons le scénario du film de nos vies.
Peut-on voir cela comme du développement personnel ?
Oui et c’est aussi le cas pour le tarologue parce qu’on se place dans la relation. Nous, on vit en permanence dans une société où il y a quelqu’un qui décide pour d’autres qui sont dans des contraintes.
Vous avez un rôle de guide ?
Oui, je pense les guider vers eux-mêmes.
Vous répondez à toutes les questions ?
Il n’y a pas de filtrage avant mais je ne réponds pas aux questions de santé, juridiques et aux mineurs mais certains arrivent avec de ces trucs… C’est une charte éthique. C’est dangereux, surtout pour le domaine de la santé. Si on me demande : « est-ce que mon mari va guérir de son cancer ? » Oui il peut, il a le potentiel. Je crois que le patient est responsable de sa guérison mais pourquoi, moi, je prendrais la responsabilité de me substituer à un conseil médical ? J’enregistre toutes les consultations car certaines personnes entendent ce qu’elles ont envie d’entendre. Quand tu réécoutes la consultation deux semaines après, tu entends une toute nouvelle consultation, parce que tu n’es plus dans le même état d’esprit. Je mets en garde mais je ne suis pas à leur place. Je ne peux pas empêcher les gens de jouer au jeu du foulard.
« Rien ne peut m’atteindre, je suis en titane. Je ne suis qu’un stylo qui écrit un message et on ne peut pas faire de mal à un stylo. »
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Cela vous arrive d’avoir des canulars ?
Quelle différence y a-t-il entre une séance à la télé et une séance normale ?
Je pense qu’il y a un truc qui se gagne dans l’énergie du direct. Quand j’ai une personne en face de moi, je vois tout son potentiel et je vais la coacher à mort : « regarde tout ce que tu peux faire ! » Plus tard, quand je ne suis plus avec elle, toute cette énergie retombe et s’en va. Le danger c’est qu’elle ait le besoin de revenir… Quand on est à la télé, les gens restent chez eux, dans leur propre décorum. C’est plus familier. Je suis chez eux, pas l’inverse.
En parlant de personnes accros, est-ce que certains appellent régulièrement pour l’émission ?
Ça arrive.
Combien ça leur coûte ?
C’est deux euros la tentative pour passer à l’antenne. A côté de cela, il y a le service privé constitué de toute une série de personnes que j’ai formées moi-même et qui travaillent pour moi en freelance. J’encourage les gens à se fixer un nombre maximal de tentatives qu’ils ne dépassent pas. Trois tentatives me semblent un bon maximum. Ils ne repaient pas en plus une fois qu’ils sont à l’antenne.
Ils ne repaient pas à la minute ?
Ça, c’est en privé. Là, ils sont sûrs d’avoir quelqu’un. Ils vont sur le site internet de l’émission et choisissent parmi les tarologues. Ils sont tous bons. Ils apprennent tous ma méthode – je leur ai donné cours. Ils m’envoient des factures et je les rémunère. J’en ai vingt-huit qui bossent dans le call center.
Un call center ? Il y a une telle demande qui le justifie ?
La plupart ont un boulot sur le côté mais quelques uns travaillent à temps plein. Il y a des personnes qui, par leur assiduité et leur efficacité, fidélisent leurs consultants et seront recommandés. Il y a tellement d’arnaques dans ce type de service, c’est une vraie nuisance. En général, ces arnaqueurs ont racheté des bases de données à Madame Irma par exemple.
Il y a quelques années, vous avez fait le buzz suite à un coup de gueule en direct…
C’était le fameux buzz de la vache. C’était il y a deux ans. L’extrait est encore sur Internet. Tu dois aller voir… C’était très mignon.
Ça vous a causé des problèmes ?
Non. En fait, je partais en vacances pendant quinze jours et ils ont fait croire que j’étais suspendue… Je ne regrette pas un de mes propos mais ça a été le buzz super sympa. Tout ce qui fait parler de toi, amène les gens à venir regarder. Et les gens sont venus regarder.
Plus récemment, il y a eu un autre buzz avec « On n’est pas des pigeons » de la RTBF ?
Ils ont été interceptés du premier coup d’ailleurs. Après ils ont continué à essayer d’appeler à quatre non stop, l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Ils l’ont fait 272 fois mais c’était plus pour casser le modèle économique et surfer sur le buzz que j’avais fait six mois avant. Leur décryptage était nullissime. Ils sont un peu montés mais, maintenant, ce n’est plus un très grand succès d’audience. Mais, je suis fairplay. Je les ai recroisés depuis et je leur parle sans soucis.
Texte : S.B. / Photo : R.G.
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LES PLUS
Italo Calvino, Le château des destins croisés, Editions Folio, 1973 .
Des personnages, muets, racontent leurs histoires croisées par l’entremise d’un jeu de tarot.
André Breton, Arcane 17, 1945. Le poème s’inspire de la 17e carte d’atout du tarot, en l’occurrence, l’étoile.
James Joyce, Finnegans Wake, 1939.L’arcane 17, encore, joue un rôle important dans la construction du récit
Vital-id.com, le site Internet d’Ingrid Lapraille qui détaille ses activités personnelles.
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