CHAPITRE III : MISE EN LIBRE EXAMEN

Ecart(s) Mag - #4

CHAPITRE III : MISE EN LIBRE EXAMEN

Lourds de nos étranges entrevues, nous nous rendons au cœur du libre examinisme, espérant y trouver de nouvelles lumières. Anne Morelli nous reçoit pour tenter de remettre l’église au milieu du village.

 ___

Quel regard portez-vous sur la Scientologie ?

Ici, vous êtes au Centre d’étude des religions et de la laïcité. Je l’ai dirigé jusqu’au mois d’octobre 2013 et la philosophie générale, c’est que toutes les religions nous intéressent. Toutes reposent sur des croyances, des convictions et je ne vois pas pourquoi les unes auraient droit à notre bienveillance et d’autres pas. Nous devons peser les choses sans a priori, pratiquer le doute systématique. Tant que nous restons indépendants, pourquoi pas ?

 

Mais qu’est-ce qui fait que la Scientologie est diabolisée chez nous, davantage que la religion catholique, par exemple ?

La principale raison, c’est la concurrence. D’où viennent les gens qui rentrent chez les adventistes, les pentecôtistes, les scientologues ? De la religion dominante. Il y a donc une forte animosité de la part des milieux religieux. Tout ce qui est de l’ordre des « actions contre les sectes » est souvent téléguidé par des religieux. Pendant très longtemps, c’était un jésuite qui était à la tête du Centre d’observation des sectes nuisibles.

 

Mais est-ce qu’il y a quand même des mouvements plus dangereux que d’autres ?

J’ai fait un petit livre là-dessus (« Lettre ouverte à la secte des adversaires des sectes ») et je vous dirai que les plus dangereux sont parmi les grandes religions. Pour l’instant, en Afrique, ils s’entretuent entre eux, entre musulmans et catholiques. En Irlande, c’était entre les catholiques et les protestants ; en Yougoslavie, c’étaient les orthodoxes contre les catholiques ; en Syrie, les chiites contre les sunnites. Les religions qui font vraiment beaucoup de morts, ce sont celles-là. Les autres, vous savez, le nombre de morts qu’ont pu faire les mormons ou les témoins de Jéhovah… Ce sont des artisans, des petits entrepreneurs indépendants à côté des grandes multinationales de la religion.

 morelli llu1 test

« Où commence le lavage de cerveau et où finit-il ? Le grand lavage de cerveau, c’est la publicité, évidemment. Quand c’est une idée qui nous est sympathique, ça nous semble normal de la transmettre. »

 

Mais ne peut-on pas dire que certaines techniques, certaines méthodes peuvent poser question ? En termes de manipulation, par exemple…

L’armée américaine s’est essayée aux mêmes brainstormings et avec toutes leurs méthodes, les moyens qu’ils avaient, ils n’ont pas vraiment réussi. Alors, est-ce qu’il y a des groupes religieux qui réussissent mieux qu’eux ? Où commence le lavage de cerveau et où finit-il ? Le grand lavage de cerveau, c’est la publicité, évidemment. Quand c’est une idée qui nous est sympathique, ça nous semble normal de la transmettre. Si ce sont des valeurs qui ne nous sont pas sympathiques, on va y voir de l’endoctrinement. Le témoin de Jéhovah qui va de porte en porte, il veut transmettre ses valeurs à ses enfants et celui qui veut emmener ses enfants de 7 ans à la communion, n’est-ce pas la même démarche ?

 

Pour vous, il n’y aurait pas de mouvements religieux néfastes et d’autres qui ne le seraient pas ?

Je crois que dans tous les mouvements religieux, il y a des braves types et des crapules, comme dans tout groupe humain. L’université, les partis politique, les syndicats. Partout, à peu près, il y a cette même proportion. Il y a des gens qui profitent de la crédulité humaine dans les grandes comme dans les petites religions. Je connais des catholiques qui m’ont dit avoir perdu la foi en allant à Lourdes parce que c’est aussi l’exploitation de la crédulité humaine.

 

La scientologie présente une sorte de musée, avec en permanence des livres de Ron Hubbard : il y a un tel culte de la personnalité.

Quand les gens se réunissent autour de Jean-Paul II pour hurler leur joie de le voir, s’il vous est sympathique, vous direz que c’est magnifique. Mais s’il vous est antipathique vous direz que c’est un culte de la personnalité et qu’ils feraient mieux d’aller voir les évangiles plutôt que de se trémousser autour du pape. Ce sont des idoles, comme vous pourriez voir un culte de Michael Jackson, Britney Spears, avec des gens qui entrent en transe.

 

Il y a le côté marketing aussi !

Ce qui peut sembler être une secte chez nous peut sembler être une religion tout à fait établie ailleurs. En Inde, j’ai été voir un temple de Krishna. Ici, ce sont des gens qui ont la tête rasée, qui mangent des petites graines, qui vont au château de Durbuy. Tout cela nous a l’air très bizarre. Ils sont 15 ou 20 en Belgique mais là-bas, c’est une religion très importante. Au temple de Krishna, vous y allez avec des milliers de personnes. Il y a deux entrées possibles : soit vous allez attendre 3 heures avant de pouvoir rentrer. Ou alors vous payez la modique somme de 15 euros et passez sur le champ : c’est le coupe-file. Je ne suis pas milliardaire mais je vais payer les 15 euros. A la fin, on vous explique comment vous pouvez faire des dons à Krishna. « Que préférez-vous : la carte de banque ou le virement, le virement permanent ou un seul ? Nous acceptons les cartes de crédits… » C’est l’itinéraire normal et vous ne pouvez pas sortir de ce temple sans être passé par un labyrinthe qui vaut celui de Lourdes, où vous allez acheter des livres, des cassettes, des DVD, les biscuits et boissons bénies… ça nous choque mais les gens qui le vivent trouvent cela normal. Ici, pourquoi ne devons-nous pas payer l’église ?

 

Parce qu’on la paie dans les impôts…

Mais bien sûr, nous la payons dans les impôts. Aux USA, tout le monde paie son église et ils font des levées de fonds. Donc, pour les églises qui ne sont pas reconnues comme la Scientologie, ils doivent tirer l’argent des fidèles éventuels. Les grandes religions peuvent faire semblant de ne pas toucher l’argent mais elles le touchent ! Parce que le prêtre est payé, les églises sont réparées, etc.

 

morelli llu3

« Que préférez-vous : la carte de banque ou le virement, le virement permanent ou un seul ? Nous acceptons les cartes de crédits… » C’est l’itinéraire normal et vous ne pouvez pas sortir de ce temple sans être passé par un labyrinthe qui vaut celui de Lourdes, où vous allez acheter des livres, des cassettes, des DVD, les biscuits et boissons bénies… »

 

 

Revenons à la scientologie : j’ai un peu l’impression que leur transcendance est basée sur des éléments scientifiques ?

Chacun a un système irrationnel mais qu’il présente comme le seul fondé. Pour les raëliens, c’est fou d’attendre que les extra-terrestres descendent chez nous mais n’est-ce pas objectivement plus probable que de voir ma vieille carcasse ressusciter ?

 

Est-ce une impression, ou est-ce qu’il y a beaucoup de nouvelles religions ? Ou est-ce qu’il y a toujours eu beaucoup de nouvelles religions, noyées dans celles qui dominent ?

Alors, il y a toujours eu des nouvelles religions. Il y en a certaines, par exemple, des anabaptistes, qui remontent au 16e – 17e siècle mais qu’on considère toujours comme des sectes parce qu’ils ne sont pas très nombreux, parce qu’ils sont restés marginaux. Les quakers, par exemple, sont restés marginaux, même des choses bien plus anciennes. Donc ce n’est pas l’ancienneté qui fait qu’on dit religion pour les uns et secte pour les autres. Moi, ma définition, c’est qu’une secte devient une religion quand le pouvoir politique le veut. C’est comme la langue et le dialecte. Le dialecte devient une langue quand le pouvoir politique le décide. Il y a une espèce de label, si vous voulez, de religion honorable qu’on a par des moyens politiques. Et ce ne sont pas les mêmes partout. Les scientologues, dans certains pays, sont reconnus comme religion et pas dans d’autres, où ils sont persécutés.

 

Ici, en Belgique, à les entendre, ce serait plutôt la persécution.

C’est ça. C’est un des pires pays, avec la France.

 

Alors, pourquoi ont-ils mis leur centre ici ?

Parce qu’au point de vue européen, ils veulent avoir une visibilité. Mais au point de vue de la liberté des petites religions, la France et la Belgique sont les plus irrespectueux. Je trouve qu’il n’y a pas de raison que les pouvoirs publics fassent le tri entre les bonnes et les mauvaises religions. Or, c’est ça que le pouvoir fait. Et bien sûr, la tarte des subventions étant limitée, on ne peut pas donner à tout le monde.

 

En Allemagne, il semble que le citoyen peut choisir à qui il veut donner…

Voilà, en Italie aussi. On décide à quel groupe on va donner une part de ses impôts. Vous avez par exemple des religions tout à fait moribondes en Belgique qui sont reconnues. Il y a une église anglicane à Knokke, une belle petite église avec un écriteau qui dit : « nos prochaines activités » : c’est un tableau complètement vierge. Il n’y a plus de sacrement, il n’y a plus de messe, il n’y a personne. Et ça reste une religion… parce que, historiquement, les anglicans ont été, à un moment, des gens qu’il fallait ménager. C’est un problème politique.

 

 morelli llu5

« Par un simple SMS, recevez la bénédiction du Pape : quelle est la différence alors entre ça et vos scientologues ? »

 

Lors de notre visite dans l’église de scientologie, nous avons été particulièrement marqués par la technologie, tout ce faste, ces écrans, en termes de communication. Est-ce que, à l’heure actuelle, tous ces moyens donnent plus de force de frappe ou grossissent peut-être plus leurs actions ?

Oui. Moi, je vois aussi cela chez les évangéliques. Vous avez toutes ces petites églises évangéliques qui poussent un peu partout. Il y a tout un rayon médiatique qui se développe, notamment dans l’église catholique, pour avoir une télévision catholique, pour avoir des informations constantes, pour avoir un beau site, etc. Est-ce qu’on peut le leur reprocher ? Cela dépend, peut-être qu’on peut dire que c’est comme les marchands du temple, que Jésus a un jour chassés. « Vous voulez la prière de machin, introduisez le code de votre carte de crédit ». Et lorsque Benoît XVI est allé en Autriche, j’ai photographié – ce qu’on appelle en « belge » ‒ une aubette du tram ou du bus à Vienne qui disait : « Par un simple SMS, recevez la bénédiction du Pape ». Cela peut paraître aberrant pour les gens d’une certaine génération. Avec les SMS payants, évidemment, pour 75 centimes, vous recevez une bénédiction. Quelle est la différence alors entre ça et vos scientologues ?

 

En procédant de la sorte, n’y a-t-il pas un risque de perdre la transcendance de la religion ?

Moi, je dirais qu’on perd le contact humain, en tout cas. Et si ça marche pour certains, pourquoi ne pas essayer ? Amazon vous apporte le livre du pasteur « machin »… C’est le même système, c’est une monétarisation des services religieux.

 

Est-ce qu’il y a d’autres religions que la scientologie qui promeuvent les valeurs de la technologie ?

Oui, il y en a beaucoup. Par exemple, les raëliens, sont toujours à la pointe, par rapport à ce qui est biotechnologie, bioéthique, la promotion des recherches sur les cellules souches en disant : « si on peut soigner les gens grâce à ça, il faut y aller, et si on peut éradiquer des maladies en éradiquant certaines cellules, il faut y aller ». Ils ont plutôt une politique proactive dans ce domaine.

 

Plus encore que les scientologues ?

Les scientologues sont quand même plus réservés dans ce domaine, parce qu’ils sont très américains.

 

Comment peut-on expliquer, pour la scientologie, cette espèce de bataille qu’elle mène contre la psychiatrie ?

Ce matin, je recevais les gens de la méditation transcendantale, ils ont un peu les mêmes positions. Là, je vous fais part de ma position personnelle : je crois qu’il y a un intérêt financier dans la médicalisation de certains déséquilibres et de problèmes psychologiques. La méditation transcendantale vous dit : il faut essayer de se détendre, être zen et vous aurez beaucoup moins d’angoisses et nous pourrons vous aider dans ce domaine-là. Les scientologues ont d’autres méthodes à proposer, mais c’est vrai qu’il y a une pente qui est un peu inquiétante. Dans le cas de la méditation transcendantale, l’académie de médecine a jugé qu’il n’y avait pas de résultats relativement probants. Mais imaginez qu’ils aient dit l’inverse : c’était couper la branche sur laquelle ils étaient assis.

 

Vous dites qu’ils ne sont pas plus dangereux que… Si un de vos enfants vous dit « moi, je deviens scientologue »…

Moi, je n’aimerais pas, parce que ce n’est pas mon idéal. Mais je n’aimerais pas non plus qu’il dise « J’entre à l’opus dei » ou « Je deviens chartreux », parce que les chartreux, ils ne peuvent pas voir leur famille, ils ne peuvent pas parler les uns avec les autres, etc. L’hostilité à ces mouvements vient souvent des parents. Et c’est compréhensible parce que, quand on a le projet d’un enfant, on a déjà un projet pour cet enfant. Moi qui suis libre penseuse, libre exaministe, si mon enfant me dit qu’il veut rentrer à la trappe ou chez les chartreux, je vais me dire que j’ai raté quelque chose dans mon éducation.

 

Dans certains groupes religieux, le problème est aussi qu’ils sont séparés de leurs familles.

Vous devriez lire le petit livre « Lettre ouverte à la secte des adversaires des sectes », vous verrez que j’avais trois tantes religieuses. Il y en avait une, chez les « Sœurs de la visitation », qui était cloîtrée, elle sortait son doigt… Elle me caressait la joue à travers le grillage. Quand elle avait 40 ans, elle voyait arriver avec amertume ma mère et tous ses gosses, épanouie et tout. Elle, elle a choisi à 18 ans de n’avoir ni homme ni enfants mais là, elle ne pouvait pas changer d’avis. L’autre, qui était « Petite sœur des pauvres », on la voyait une fois par an. Quand on lui envoyait une lettre, elle était ouverte par sa supérieure.

 

morelli llu4

« Même dans la mise en page : demi-visage noir… Ce qui fait un peu inquiétant… Je vous ébranle, hein ? »

 

Est-ce que les médias jouent beaucoup dans la diabolisation des nouvelles religions ?

Oui, vraiment. En fait, les médias, font ce qu’on appelle les marronniers, le sujet revient donc régulièrement. Chaque année ou presque, LeVif fait un numéro « La crainte des sectes », « Les sectes nous menacent-elles ? » ou quelque chose comme ça. Et ils doivent montrer des choses qui créent une anxiété, que ce soit anxiogène. Et que les gens, après avoir lu ça, disent « ouf, je l’ai échappé belle. Je ne suis ni scientologue, ni mormon… ». Donc, ils ont un rôle. Même dans la mise en page : demi-visage noir… Ce qui fait un peu inquiétant… Je vous ébranle, hein ?

 

Pas nécessairement.

J’ai eu par exemple un étudiant en droit, parfaitement intelligent, qui s’est converti aux Témoins de Jéhovah. Il a fait du trampoline et s’est cassé la colonne vertébrale. Il avait 19 ans. Moi, je peux comprendre qu’on devienne Témoin de Jéhovah. La vie d’ici n’a pas d’importance. Il a 19 ans, il est paralysé, dans une petite chaise… Mais l’important, c’est l’autre vie, celle qu’on prépare. Heureusement qu’il est devenu Témoin de Jéhovah, quelque part. Sinon, qu’est-ce qui lui restait de la vie, je veux dire ? Dans le sens où Marx le disait autrefois, ça peut lui servir d’opium pour supporter sa souffrance. De même que, parmi les Témoins de Jéhovah, il y a beaucoup de gens venant de l’immigration, des gens très modestes qui avaient espéré, en venant ici, faire une ascension sociale importante qu’ils n’ont pas faite. Et les Témoins de Jéhovah leur apportent un message, qui est un message d’espoir, en disant « ce n’est pas l’essentiel, ce n’est pas important, vous n’avez pas un écran plat, vous n’avez pas une grosse voiture, mais ça n’est pas important ; la vraie vie, ce sera l’autre ». Une bouffée d’opium, hein.

Texte : S.B. et J.-M.D., avec R.G.


LES PLUS

le plus-lire

Anne Morelli, Lettre ouverte à la secte des adversaires des sectes, Editions Labor, 2002.

 le plus-lire

Nathalie Luca, Individus et pouvoirs face aux sectes, Armand Colin, 2008.

__________

< SOMMAIRE

↓