A LA POURSUITE DU BONHEUR

Ecart(s) Mag - #4

A LA POURSUITE DU BONHEUR

 

Pression, harcèlement, aliénation, burn-out, suicide… Des termes facilement associés au monde du travail et plus encore dans un contexte d’interminables crises économiques. Et si, au contraire, le travail était tout simplement la clé du bonheur ? C’est le postulat développé par Laurence Vanhée qui, telle une Mary Poppins bienveillante, vole d’entreprise en entreprise, petites et surtout grandes, pour répandre ses bienheureuses idées.

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Après un périple ferroviaire de deux heures, nous débarquons dans la merveilleuse localité de Bierges, plus connue pour son parc d’attractions que pour ses trottoirs accueillants. Quelques centaines de mètres derrière les montagnes russes et la Radja river, nous atteignons un quartier résidentiel où d’étranges tondeuses semblent se mouvoir par elles-mêmes. En sueurs suite à quelques raccourcis malheureux, nous détonons d’emblée avec la quiétude d’un voisinage d’apparence relativement aisée. Quelques mètres encore et nous arrivons enfin devant la maison de Laurence Vanhée. Ingénieure commerciale reconvertie dans les ressources humaines, Laurence fut ensuite Chief hapiness officer du SPF sécurité sociale, DRH de l’année, auteur du livre Happy DRH et désormais consultante en matière de bonheur au travail. Nous pénétrons dans un intérieur aussi lisse et propre qu’une communication interne. Un chat qui aurait pu jouer dans un James Bond nous jauge un instant avant de focaliser son intérêt sur notre matériel de prise de vue.

 

Bun-outée hier, Happy DRH aujourd’hui

« Trouvez un travail que vous aimez et vous ne travaillerez jamais de votre vie ». Laurence fait de cette citation de Confucius l’explication ultime de son monde. Il y a quelques années, alors qu’elle travaillait pour une grosse boîte, un burn-out « violent » la frappe de plein fouet. Une véritable révélation pour elle. « Toutes les organisations, qu’elles soient privées ou publiques, petites ou grandes, nationales ou internationales, veulent la même chose : être performantes. Mais personne ne se lève le matin en se disant : « Super, je vais être performant« . Non, on se dit : « J’ai envie d’être heureux« . De plus en plus d’études universitaires tendent à démontrer que les personnes heureuses au travail sont aussi plus productives. » Laurence y voit donc la clé d’un véritable plan win-win dans lequel les personnes ne seraient plus des « ressources » mais des « richesses ». Un nouveau monde professionnel où les DRH se transforment en « Chief hapiness officer » et où évolue une nouvelle race de sur-employés à la fois « libres » et « responsables ».

 

« Le bonheur au travail, ce n’est pas tout simplement monter sur les tables et hurler sa joie. C’est plus une notion d’épanouissement, d’engagement et d’adéquation entre ce que vous êtes, vos valeurs, et la culture de l’organisation. »

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L’authenticité et Tyler Durden

« Le bonheur au travail, ce n’est pas tout simplement monter sur les tables et hurler sa joie. C’est plus une notion d’épanouissement, d’engagement et d’adéquation entre ce que vous êtes, vos valeurs, et la culture de l’organisation. » Dans ce meilleur des mondes, les travailleurs adhéreraient donc complètement aux valeurs de leur boîte et se définiraient de la sorte. Pire encore, ils seraient « uniques » et en finirait avec la double-personnalité – une au travail et une à la maison – que Laurence semble décrire comme un mal. Je ne peux m’empêcher d’interpréter cela comme une inquiétante fusion entre le privé et le professionnel où il n’est pas toujours heureux d’être entièrement soi-même mais, encore une fois, elle se range derrière l’argument ultime de la performance : « Si vous n’avez qu’une seule personnalité, vous allez générer un meilleur niveau d’énergie, vous allez être moins épuisé en fin de journée en ayant moins fait attention à ce que vous dites, ce que vous faites. Essayez, vous allez voir ! » De façon subliminale, le personnage de Fight Club, Tyler Durden, m’apparaît et me dit : « Vous n’êtes pas votre travail… »

 

Kafka et la vie en rose

Mais comment réagissent les entreprises à ces concepts ? Je pense directement aux trop nombreuses structures dignes d’un roman de Franz Kafka où les hiérarchies sont bien établies et plutôt rigides. « L’essayer, c’est l’adopter », me répond Laurence mais admet que cela nécessite un changement de posture managériale où la hiérarchie irait directement chercher l’opinion auprès de ses collaborateurs. « Les entreprises adhérant à ces idées restent une proportion moins importante par rapport à la majorité. Mais celles qui ont opté pour cette voie sont des organisations en pleine croissance, n’ayant aucun problème d’extension de marché et il y a quelque chose qui résonne dans l’histoire qu’elles racontent. On a envie de faire du business avec elles. »

 

« Certaines personnes s’approprient le titre de chief hapiness officer alors qu’il s’agit de leaders totalement autoritaires, orientés sur leur propre égo et leur puissance. »

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Les concepts de bonheur au travail ne sont toutefois pas à l’abri d’utilisations plutôt discutables. « Certaines personnes s’approprient le titre de chief hapiness officer alors qu’il s’agit de leaders totalement autoritaires, orientés sur leur propre égo et leur puissance. » Autre tendance préjudiciable pour le mouvement : le pink washing qui fait écho au green washing. « Il y a quelques années, il fallait absolument être bio, dans le développement durable et donc tout devait être repeint en vert! Ici, on refait la même chose mais avec du rose… » Quelle remède à tous ces maux ? L’éthique ! Car Laurence se définit comme une Mary Poppins moderne qui vole de boite en boite pour porter son message (d’espoir ?), « que l’organisation se l’approprie, rayonne de l’intérieur et en fasse ce qu’elle entend. »

 

Conférence, vidéos et Miss Philomene

Grâce à son livre et son titre de DRH de l’année, Laurence n’entreprend aucune démarche commerciale pour convaincre. Au contraire, ce sont les futurs clients « adeptes » qui se déplacent pour l’entendre : « Je donne fréquemment des conférences, pas uniquement en entreprise, et, automatiquement, des dirigeants ou des DRH viennent me trouver pour mener un projet particulier ou pour porter ce message auprès de leur organisation. » Et plusieurs de ces conférences circulent sur le Net où elles « rayonnent » plutôt bien. « J’ai aussi un blog humoristique, missphilomene.com, où je ne mâche pas mes mots. Je n’ai pas le côté policé que je peux avoir en interview… Cela reflète les idées que j’essaie de véhiculer sans faux-semblants mais sans aucune intention de blesser quiconque. »

 

 

La communauté Be Hapiness Days

En écho à la journée internationale dédiée au bonheur, Laurence co-organise les Be Hapiness Days. « On a essayé de créer une communauté de people managers que l’on anime au travers de cette journée et aussi à l’occasion de plusieurs lunchs pendant l’année. » Leaders, managers, profs d’universités et autres consultants s’y retrouvent autour d’un bon gueuleton pour échanger leurs bonnes pratiques et (sans-doute) s’auto-congratuler joyeusement. « Maintenant, cette communauté rassemble près de 100 entreprises, soit un peu plus de 1000 leaders et 380.000 salariés à l’échelle de la Belgique. » Une véritable armée de bienheureux. Laurence nous confie qu’il y a même une volonté d’attaquer le marché français à terme… Fin de l’interview, nous quittons le quartier résidentiel sans nous perdre – grâce à Laurence – tout en cogitant sur le bonheur. S’il n’a pas de prix, nous avons aussi l’impression qu’il n’est pas gratuit pour autant.

Texte : S.B. / Photos : R.G.


LES PLUS

le plus-lire

Laurence Vanhée, Happy RH, Editions La Charte, 2013.

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Chuck Palahniuk, Figth Club, Editions Folio, 2002.

lesplus-videoTedX, Playlist, Shawn Achor, Work Happier.

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